Défi des 21

Mon numéro est posé sur mon casque, je suis prêt à partir!

Quelques imprévus et un résultat différent des attentes

Après des mois de préparation, le samedi 2 juillet 2022 à 5 h du matin, le départ est enfin lancé.

Depuis des années j’ai des étoiles dans les yeux quand j’entends parler de ces athlètes qui parcourent des distances incroyablement longues, pendant des heures, des dizaines d’heures, parfois plusieurs jours. Le défi des 21 se veut une introduction au monde de l’ultra cyclisme. C’est une course de 339 km avec un cumulatif de 5000 mètres de montée, donc un trajet très montagneux. Le temps maximal pour compléter le circuit est de 16 heures. Mon but premier est simplement de terminer la course, et j’ai l’ambition de tenter de finir en 14 heures environ, soit dans la moyenne selon les résultats de la course de 2021.

Premier segment

Et c’est parti pour 339 kilomètres et plus de 5000 mètres de gain d’élévation.

Go! Enfin. Nous sommes 45 cyclistes à prendre le départ. Après de longs mois de préparation et d’entraînement, maintenant je n’ai qu’à pédaler. Sans arrêt. Longtemps. Ça sera un jeu de patience.

La première montée commence quelques mètres à peine après le départ. Je ne suis pas ici pour battre des records de vitesse et je tente de trouver un niveau d’effort que je pourrai maintenir jusqu’à la fin de la journée. Après la première montée, il y a une descente sur un pavé en très mauvais état, et dans un virage je n’arrive pas à éviter une craque dans la chaussée… mes roues de carbone s’y engouffrent et j’entends un bruit (très désagréable!) de carbone qui brise. Je termine le virage en contrôle, je cesse de pédaler quelques secondes et je tente de regarder mes pneus tout en roulant, tout semble tenir le coup. Un cycliste qui était derrière moi vient à mes côtés et me dit que mon pneu semble avoir tenu le coup et que ma roue est encore bien droite. C’est une bonne nouvelle! J’espère qu’elle tiendra le coup jusqu’à la fin de la course.

Rouler en file est à la fois plus sécuritaire et plus efficace, mais il faut aussi gérer les trous, craques et débris sur nos belles routes du Québec, et parfois la « file » de cycliste devient ainsi beaucoup plus large pour un certain temps…

Comme je m’y attendais, le rythme est un peu plus élevé que ce que je pense pouvoir tenir, mais je pense, ou du moins j’espère, que l’intensité diminuera rapidement aux prochaines montées. J’espère aussi réussir à rester “accroché” à des coureurs qui vont à une bonne vitesse pour qu’on puisse travailler ensemble et se relayer tour à tour à l’avant pour s’entraider et ainsi économiser des efforts. Pédaler seul demande beaucoup plus d’effort, surtout qu’on devrait avoir un bon vent de face sur une bonne partie du trajet.

Après quelques dizaines de kilomètres, on a un petit peloton de 7 ou 8 coureurs. Je ne sais pas combien d’autres ont pris la tête de la course loin devant, je crois qu’on doit être aux alentours des 15e à la 20e position, environ.

Au kilomètre 79, au premier point de ravitaillement, je prends une minute de plus que les autres personnes de mon peloton pour remplir mes gourdes et enlever la veste que j’avais mise au départ pour éviter d’avoir froid pendant le premier segment. Mon peloton prend donc une minute d’avance sur moi et je repars avec un autre cycliste qui était avec nous plus tôt mais qui n’était pas arrivé à tenir notre rythme dans une des montées peu avant le ravitaillement. Je me dis qu’on pourra travailler à deux sur le plat (mon point faible) et que je l’encouragerai dans les montées (mon point fort).

Peu après, nous rejoignons quelques autres coureurs qui ne se sont pas arrêtés au ravitaillement, et quelques kilomètres plus loin, moi et un d’eux partons seuls devant, notre rythme était plus élevé que le leur. Après quelques minutes, nous voyons au loin le peloton avec lequel nous étions au départ. En travaillant un peu plus fort, nous réussissons à les rejoindre, et nous pouvons bénéficier d’un travail partagé par plusieurs pour maintenir une plus grande vitesse.

Tout va très bien jusqu’à maintenant. Je travaille un peu plus fort que je pensais le faire, mais je pense que je peux tenir pour un bon moment encore, quitte à ralentir plus tard pour pouvoir tenir le coup jusqu’à la fin, mais pour le moment je suis assez confiant d’être en bonne position pour atteindre mes objectifs.

Au kilomètre 127, je roule sur une roche, une petite roche bien ordinaire comme il y en a des millions en bordure des routes, un caillou de rien du tout. J’ai eu un petit moment d’inattention et je ne l’ai pas évitée, la satanée roche. Après quelques secondes, il est évident que mon pneu arrière se dégonfle. Je dois donc m’arrêter et réparer mon pneu.

Je reste assez calme, je tente de trouver où est le trou dans mon pneu, j’ai un peu de difficulté, un véhicule de support pour un des participants s’arrête et me vient en aide – avec sa pompe, en tentant de gonfler mon pneu, on trouve rapidement le trou dans le flanc. Nous bouchons le trou mais l’air continue à fuir. Mon bon samaritain doit repartir pour aller supporter son coureur. Je sors une chambre à air, et quand je m’apprête à enlever ma roue j’ai l’impression qu’il n’y a plus d’air qui fuit. Je regonfle un peu plus mon pneu et ça semble tenir le coup – je remets mes accessoires dans leurs sacs et je reprends la route vers le prochain ravitaillement qui est à moins de 10 kilomètres.

Deuxième segment

Ça tient le coup jusqu’au ravitaillement. Quelqu’un m’aide à couper l’excédent du bouchon que j’ai inséré dans mon pneu, puisqu’à chaque tour de roue il frappait le cadre de mon vélo. Le bouchon est une sorte de fil de caoutchouc mou, et tout ce que je veux est qu’il reste en place jusqu’à la ligne d’arrivée. Mon pneu a perdu beaucoup d’air encore, on le gonfle encore une fois et j’espère qu’il cessera de fuir maintenant. Il y a un liquide scellant dans mon pneu qui devrait colmater les petites brèches, j’espère qu’il finira par bien faire son travail!

Avec des si beaux paysages, c’est presque dommage que ça soit une course.

À partir de Port-au-Saumon vers Les-Sept-Côtes (quel nom révélateur d’ailleurs), c’est le début des longues montées. Mario Lane, un autre coureur, et moi avons un rythme semblable et laissons quelques autres derrière nous. Il est un peu plus fort que moi et je prends des relais plus courts que lui, je ne peux pas donner plus d’effort – je suis bien conscient qu’on a 150 km de fait et qu’on est à peine à la moitié du trajet, et que les plus grosses montées sont encore loin devant nous.

À Pointe-au-Pic je découvre la côte Bellevue. Wow, ça c’est à pic! Et les jambes sont moins fraîches qu’au début… Un côté positif est que je deviens un peu plus léger à chaque goutte de sueur qui tombe… La fatigue commence à se faire sentir, je me sens, lentement, un peu moins alerte. Mario et moi rejoignons et dépassons tout de même quelques autres coureurs au fil des kilomètres suivants.

Nous faisons deux arrêts rapides, un près de Saint-Hilarion et un second un peu avant Saint-Urbain, puis c’est le début des dernières côtes. Les grosses. Les longues et difficiles. Et on a un vent de 30 à 50 km/h de face. Ça ne sera pas facile, mais je savais que ça serait exigeant. Je n’oublie pas que c’est un jeu de patience, tant que je peux continuer à faire tourner mes pédales, même lentement, tout va bien.

La côte #19 (selon mon ordinateur de vélo), Mario dit qu’il s’en souviendra longtemps. 2.5 km de long, à un moyenne de 8.5% d’inclinaison et des passages jusqu’à 13%. Nous nous sommes rendus jusqu’en haut, mais après la #19 est venue la #20. La mastodonte. Une dizaine de kilomètres de montée avec des passages à plus de 15% d’inclinaison. Mario et moi avions rejoint deux autres coureurs près du début de la #19, et peu après le début de la #20, je pars seul devant pendant la montée. Je me sens mal de laisser Mario derrière, nous avons bien travaillé ensemble et j’avais bénéficié de son énergie dans les heures précédentes, mais dans cette immense montée nos niveaux d’énergie semblaient maintenant bien différents et même en diminuant mon effort lui et les deux autres coureurs sont rapidement loin derrière moi. Je décide donc de maintenir mon rythme de croisière, ou plutôt mon niveau d’effort, jusqu’au dernier ravitaillement, qui est juste avant la dernière grosse montée, nommée La Galette.

Troisième et dernier segment

Quand j’arrive au ravitaillement, ce que je veux le plus est un gel énergétique avec de la caféine, ce qui devrait m’aider à reprendre un peu de vigueur. Je regrette un peu d’ailleurs de ne pas en avoir transporté un sur moi plus tôt dans la course, je l’aurais déjà consommé si je l’avais eu. Mon arrêt est assez rapide et je me lance dans la montée de La Galette. Très escarpée, encore avec des passages à plus de 13% d’inclinaison, toujours avec un vent de face, mais moins de 2 km de long. Bah, ce n’est presque rien après toutes les montées précédentes, que je me dis à moi-même sur un ton légèrement ironique.

Je survis plutôt bien à cette dernière “vraie” montée réputée, puis c’est le début du long calvaire vers la ligne d’arrivée. J’aime les longues distances mais ça fait tout de même un peu drôle de penser que les 80 km qu’il me reste encore à faire sont simplement “la fin de trajet”.

Les douleurs se font sentir depuis un certain temps et elles sont un peu plus difficiles à endurer maintenant. Le pavé n’est pas toujours en bon état, les craques dans l’asphalte usée ajoutent un peu aux inconforts. Le bouchon commence à sortir de mon pneu arrière, je l’entends à nouveau taper sur le cadre de mon vélo à chaque tour de roue. Mon pneu me semble toujours bien gonflé, mais je me demande si ça tiendra la coup jusqu’à la fin. Et j’espère aussi que mes roues endommagées ne briseront pas. Je dois ajuster un peu ma cadence pour doser la pression sur mes genoux afin de trouver un équilibre inconfort-puissance. J’ai mal sous les gros orteils, comme si j’avais des aiguilles plantées qui s’enfonçaient un peu à chaque coup de pédale. Et mon derrière a hâte de ne plus être sur mon banc de vélo. Malgré que j’ai la selle la plus confortable des 8 que j’ai essayé au cours de la dernière année, c’est exigeant sur le popotin de l’ultra-cyclisme.

Un peu avant Ferland-et-Boileau une voiture de supporter pour un coureur me dépasse et se stationne en bordure de la route pour attendre le passage du cycliste qu’il supporte. Je comprends qu’il doit être seulement quelques minutes derrière moi, mais il me reste une cinquantaine de km à parcourir, je suis seul et je commence à être aux bout de mes forces. Je tente de garder un bon rythme, principalement parce que plus vite je vais, plus tôt je pourrai débarquer de mon (foutu!) vélo. Je serai content pour lui (ou eux) quand il me dépassera. Si je veux arrêter maintenant, je peux simplement m’arrêter, donner un coup de fil et quelqu’un viendra me chercher où je suis. J’ai mal partout, l’estomac à l’envers, mais je pense que ça sera plus rapide si je me rends au fil d’arrivée en pédalant, et je ne suis pas tout à fait prêt à abandonner malgré les inconforts.

Au fil des kilomètres, je revois la voiture de supporter de plus en plus fréquemment, et elle va se stationner de plus en plus loin devant moi à chaque passage. À plus de 20 kilomètres de l’arrivée, j’ai perdu beaucoup de terrain et mon (ou mes?) poursuivant n’est plus loin derrière moi. S’ils sont plusieurs, à travailler ensemble sur cette route légèrement descendante, je n’ai aucune chance de garder les devant, moi qui travaille seul. Je suis résigné.

À 10 km de l’arrivée, le trajet tourne vers l’est et j’ai un vent de dos, pour la première fois depuis… toujours? Je fais un petit calcul mental rapide… 10 km, avec le vent dans le dos, je peux probablement rouler à une vitesse moyenne de 40 km/h, ce qui prendra une quinzaine de minutes… Je me surprends à évaluer, à tort ou à raison, que je peux pédaler plus fort pendant 15 minutes, soit jusqu’à l’arrivée. Ça doit être un peu ça, l’énergie du désespoir. Ça fera mal au genoux, aux pieds, mais à un niveau que je pense bien pouvoir endurer pour quelques minutes.

Il n’y a presque pas de voitures, je m’en considère chanceux et j’en suis surtout content. J’essaie d’avoir un coup de pédale le plus efficace possible tout en maintenant une position aérodynamique et en restant attentif aux imperfections (et c’est peu dire…) dans le pavé. Je planifie que si mon pneu crève, ou que ma roue brise, à 5 km de l’arrivée, je ne prendrai pas le temps d’essayer de faire des réparations et je vais simplement courir avec mon vélo jusqu’à la fin.

Les quelques derniers kilomètres, une fois dans la ville de La Baie, sont magnifiques. Le long de l’eau dans une grande baie de la rivière Saguenay, le pavé est beau et l’accotement est large. Je regarde derrière moi et je ne vois pas d’autres cyclistes. Je maintiens le rythme, mais je pense que je réussirai mon pari. Il y a quelques (relativement) petites côtes à monter, et j’y vais “à fond la caisse” pour garder mon avance. Puis je vois en bordure de la route la pancarte de l’Auberge Des Battures, le point d’arrivée. Il y a des gens sur le haut de la côte – eh oui, ça termine avec une petite montée – qui m’encouragent, des cloches à vache, des feux d’artifice! Ok, j’exagère un peu… pas de feux d’artifice, mais une dizaine de personnes qui applaudissent. Et j’arrive, j’arrive… et c’est fait, je suis arrivé. FINI! Après 13 heures et 14 minutes d’effort soutenu, j’ai enfin fini, et je “suis fini”! Je vais immédiatement me coucher dans l’herbe. Je reprends mon souffle et je me ferme les yeux, enfin, je peux me reposer.

La ligne d’arrivée! Enfin!

On m’annonce que j’ai fait un top 10! Quoi? Pardon, c’est une farce… mais non, vraiment, je suis le 8e participant à franchir la ligne d’arrivée. J’ai vraiment beaucoup de difficultés à y croire.

J’ai atteint, et même dépassé, mes objectifs : j’ai terminé la course et je suis arrivé 8e sur 45 participants. Il y a eu 18 abandons. Le vent de face et des fortes averses (qui ont commencé peu après mon arrivée) ont fait des ravages parmi les concurrents.

Je peux enfin m’asseoir ailleurs que sur ma selle de vélo. On devine le ciel menaçant derrière, qui explique que des participants qui ont terminé dans les heures suivantes on dû continuer à pédaler sous des averses.

Post mortem
Mon pneu ne s’est pas dégonflé d’avantage. Le bouchon était presque complètement sorti à la fin de la course. Je considère que j’ai été chanceux dans cette malchance puisque l’utilisation de pneus tubeless m’a sauvé beaucoup de temps pour cette intervention, j’ai été arrêté une quinzaine de minutes au total pour cette réparation, près de 20 si on compte le temps supplémentaire à gonfler mon pneu à nouveau au ravitaillement, mais ça a finalement tenu le coup.

Mes deux roues sont endommagées. Je dois faire remplacer les arceaux (jantes), mais elles ont tenu le coup.

Je pense que le temps que j’ai mis dans les différents aspects de ma préparation ont été bien investis.

  • entraînement
  • alimentation
  • équipement
  • positionnement
  • planification de la logistique

Je pense que j’avais bien fait mes devoirs, mais certains éléments relèvent de la chance. Les étoiles étaient alignées en ma faveur cette fois-ci et j’en suis bien content.

Ma médaille de finissant – un beau souvenir qui me rappellera que tant de choses sont seulement temporaire : les difficultés, les inconforts et les douleurs… et les sections de route sans montées aussi!

4 Replies to “Défi des 21”

  1. Bravo Champion!
    Dans mon coeur tu ne seras jamais le 8e, tu seras toujours le deuxième ex-equo avec le premier xxx

    1. Haha! Merci maman. 🙂

  2. Bravo! Fier de toi mon chum

    1. Merci Michel! D’ailleurs je considère que c’est en partie grâce à toi que ça a bien été, parce que tu m’en as montré beaucoup côté vélo. 🙂

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